jeudi 18 août 2016

Une petite robe de fête de Christian Bobin

Je voulais lire du Christian Bobin et j'ai lu Une petite robe de fête, je peux cocher la case. Maintenant, ça fait presque 15 jours que je me demande comment rendre compte de la lecture de ce recueil de nouvelles sans trouver la solution.  Je ne peux pas résumer les histoires, je ne peux pas donner le nom d'un personnage, je pourrais tout juste dire de quoi ça parle en me doutant que je n'ai pas tout perçu et pourtant, ce livre est plein, abouti, servi par une prose poétique qu'on lit comme en apnée. Je ne l'ai cependant vraiment appréciée que lorsque j'ai cessé de vouloir la comprendre, la transposer, la "traduire". Alors, il s'est passé quelque chose de l'ordre de la peau ou du cœur peut-être, une sensation qu'il est très difficile de décrire, l'impression d'être concernée et de pouvoir m'en emparer presque égoïstement alors même que les thèmes abordés sont particulièrement universels et les lecteurs, nombreux. L'envie aussi d'être digne de ce que je lisais, de ces mots assemblés avec justesse, avec douceur, qui viennent présenter différentes facettes d'humanité, l'écriture, la lecture, le temps qui passe, l'amour (la nouvelle éponyme, Une petite robe de fête est particulièrement sublime).
Ce livre m'a laissé une sensation tactile, épidermique qui touche au sensible tout en m'ouvrant des pistes réflexives à la fois profondes et subtiles. Je l'ai lu entre intimidation et émotion, ce premier Bobin et même si je mesure toute ma maladresse à parler de son écriture, j'avais envie de me joindre à la communauté de ceux qu'elle a touchée.


lundi 1 août 2016

Les falsificateurs de Antoine Bello

L'avantage d'avoir une pile à lire un peu conséquente, c'est de pouvoir y dénicher quelques pépites dormantes. J'ai donc retrouvé avec plaisir Les falsificateurs et me suis rappelée tout ce que j'attendais de cette lecture. Je n'ai pas été déçue par ce livre que j'ai trouvé intelligent, inventif et réflexif avec une galerie de personnages correctement présentés et un héros très attachant. Sliv Dartunghuver (c'est lui), jeune diplômé en géographie se présente sur le marché du travail dans son Islande natale. Nous sommes alors au début des années 90 et les opportunités intéressantes ne sont pas légion. Aussi, Sliv n'hésite-t-il pas longtemps lorsqu'un cabinet d'études environnementales  s'intéresse à sa candidature et lui propose d'effectuer sa première mission au Groenland. La perspicacité de Sliv est vite repérée par son chef, Gunnar Eriksson, qui lui révèle la véritable activité du cabinet. Il s'agit d'une des nombreuses antennes d'une organisation internationale occulte, le CFR, Consortium de Falsification du Réel. Bien sûr, Sliv tente de connaître les finalités d'une telle organisation mais son interlocuteur lui explique que lui-même n'en sait rien et lui présente un cas concret de falsification du réel, une fausse histoire de migration depuis la Grèce jusqu'au Nebraska. Oubliant les questions embarrassantes, Sliv est d'emblée séduit par la prouesse intellectuelle que constitue ce dossier. Inventer une histoire et la rendre crédible au monde entier en falsifiant les sources va devenir pour lui une addiction, d'autant plus que son talent est très vite reconnu par ses pairs qui lui accordent le Trophée du premier dossier, prix que n'avait pas réussi à obtenir Léna Thorsen, une jeune membre du CFR qui l'a précédé à l'antenne de Reykjavik et qui a la réputation d'être la plus brillante des jeunes recrues. Tout flatte donc l'ego, l'intellect et la curiosité du jeune Sliv qui s’accommode des doutes qu'il nourrit vis-à-vis du CFR en se rappelant que son premier dossier a servi la cause d'un peuple opprimé, les Bochimans, repoussés dans le désert du Kalahari.
En suivant les dossiers du CFR, ceux de Sliv ou de ses collègues, Antoine Bello nous propose la lecture de différents scénarios dans des domaines allant de la géopolitique à la littérature jusqu'aux découvertes majeures de l'Humanité, le tout de manière érudite ou en tout cas très bien documenté. Pour qui aime lire des romans et donc des histoires, c'est déjà en soi fort jubilatoire mais l'auteur ne se contente pas de cela, il montre comment ces scénarios pourraient passer de la fiction au réel (ou en tout cas, être perçus comme tel) pour infléchir, rien de moins que la marche du monde.
En érodant le statut infaillible de la source et notamment de l'écrit, Antoine Bello éveille notre curiosité tout autant que notre vigilance sur l'écriture de l'Histoire. Rappelons-nous que Thucydide en son temps nous y invitait déjà : "Telle est la négligence que l’on apporte en général à rechercher la vérité, à laquelle on préfère les idées toutes faites."

Merci à Galéa à qui j'ai beaucoup pensé de me l'avoir fait découvrir.