lundi 28 septembre 2015

Le cercle des douze de Pablo de Santis



Je tente la métaphore mécanique, inspirée par la célèbre silhouette qui figure sur la couverture. Telle l'ascension (pedibus, bien sûr) de la Tour ne laissant voir, au cours de l'effort, qu'un entrelacs de poutres et de rivets, la lecture de ce Cercle des douze laisse une sensation d'avancée un peu laborieuse avant d'en arriver au dénouement, à la résolution de l'énigme, sauf que, dans mon cas, la vue panoramique promise est restée quelque peu brumeuse.
Le point fort de ce livre est sans nul doute le contexte qu'il puise dans l'Exposition universelle de 1889, devenue culte grâce à sa création emblématique, la Tour Eiffel. Construction incroyable et singulière, elle exerce un pouvoir d'attraction qui n'a pas échappé à la maison d'édition et a motivé le choix de la couverture. Si l'on ajoute qu'il s'agit d'une histoire de détectives donc d'énigmes, les ingrédients sont réunis pour intéresser le lecteur. Sauf que le lecteur a intérêt à être motivé pour aller jusqu'au dénouement. Il doit déjà supporter une première partie assez longue où d'emblée il faudrait croire que les détectives (du XIXème siècle) exercent de part le monde une forme de fascination au point de susciter la publication de revues, lues avec empressement par des sortes de fans. Cet enthousiasme plaqué m'a semblé quelque peu artificiel. L'histoire qui débute à Buenos Aires (l'auteur est argentin) nous est présentée par Sigmundo Salvatrio, grand admirateur des détectives, qui trouve une occasion en or de s'approcher du plus célèbre enquêteur privé de son pays, Renato Craig lorsque celui-ci, rompant ses habitudes de solitaire, lance une académie où il se propose d'enseigner son savoir et par là même, choisir enfin un assistant. Si le lecteur doit être motivé pour poursuivre sa lecture, ce n'est pas tant en raison du propos qui nous est proposé (après tout, il est courant d'avoir une impression d'artificialité au début d'un livre quand l'empathie avec les personnages n'est pas établie, quand le liant n'a pas encore pris) mais en raison du style, bien trop pesant (trop de phrases avec un groupe nominal suivi de deux points, utilisation des "il y a", "il y avait"...). Je ne sais pas si c'est une question de traduction car je suis perplexe quant à la capacité (ou le droit..) d'un traducteur  à transcender un texte au point de lui donner une finesse littéraire si, initialement, celui-ci en est dépourvu. Heureusement, la qualité du style va en s'améliorant au cours de la lecture.
Sigmundo est envoyé pour représenter Craig, compromis dans une affaire, à la réunion du Cercle des douze dans le cadre de l'Exposition universelle. En effet, l'art de la déduction se doit d'être représenté au même titre que les autres arts et métiers. Chacun des détectives présents y va de son interprétation du métier. Certaines exégèses sont un peu embrouillées mais elles ont l'avantage d'être illustrées par une sorte de "digest" d'énigmes emblématiques dont chacune pourrait servir de source d'inspiration à un roman policier.
Alors que la conférence bat son plein, l'orgueil de ces fins limiers est provoqué par l'assassinat de l'un d'entre eux. Darbon, détective de Paris qui enquêtait sur les ennemis de la Tour Eiffel a basculé, à grands renforts d'huile, dans le vide depuis le deuxième étage. C'est l'un des aspects les plus intéressants du livre. On apprend ou on réapprend que la Tour, loin d'avoir suscité l'unanimité, a eu des détracteurs féroces (et pourtant, elle devait être démontée !). Au passage, l'auteur rétablit un peu la paternité de Koechlin, l'assistant d'Eiffel, dans la silhouette si particulière qui caractérise l'édifice. Ce livre, c'est la revanche des gens de l'ombre, des assistants...
Arzaky, l'autre détective parisien s'empare de l'enquête, aidé par Sigmundo. Leurs pas les mènent dans le milieu d'une secte d'hermétistes (mais plusieurs autres noms sont employés) qui considèrent comme un outrage ce symbole triomphant du positivisme (si j'ai bien compris...). Puis, nous les suivons dans l'intéressante Galerie des machines, l'autre grande attraction de cette exposition. Au cours de cette enquête, le jeune Sigmundo apprend, fait ses armes et éprouve à plusieurs reprises sa loyauté. Les ressorts compliqués de l'énigme rendent ce parcours initiatique cependant moins saillant qu'il ne le mérite, ce qui est regrettable car il est assez finement mené. 
Un livre qui aurait gagné selon moi à faire quelques choix. Déjà servi par un contexte historique prégnant, il n'avait peut-être pas besoin d'être étoffé encore par autant d'idées, de rebondissements et de personnages (on est quasiment à la vingtaine...). Je l'aurais davantage apprécié un peu éclairci, gracieux comme la Tour Eiffel...

Pour une autre expo, c'est par ici...

lundi 14 septembre 2015

Novecento : pianiste de Alessandro Baricco





C'est le genre de livres dont le format court joue comme une épure, cisèle l'essentiel et donne une sensation de joyau. Le propos doit être servi par une belle écriture et il est préférable que l'auteur aborde des thèmes forts à visée universelle ou philosophique, à moins de choisir une empreinte poétique ou une alchimie de tout ça, ce qui est plus ambitieux et plus risqué sauf si on a le talent d'Alessandro Baricco. Né avec le XXème siècle qui lui donne son nom, Novecento a eu pour berceau un bateau, le Virginian, un transatlantique qui déverse son flot de migrants à chaque traversée. Il a eu pour parent adoptif, un vieux marin qui l'a élevé avec la bienveillance de l'équipage, mais sans jamais le laisser mettre pied à terre, de peur que sa situation irrégulière d'enfant abandonné n'attire les ennuis. Novecento a appris seul à jouer du piano et il a su d'emblée en jouer mieux que personne. Adulte, Novecento n'a jamais voulu descendre du Virginian. Pourquoi le ferait-il puisque le monde vient à lui et qu'il sait "lire les gens" pour créer sa musique ? A bord du bateau, Novecento n'a pas peur. La finitude de la coque sur l'infini de l'océan le rassure, les 88 touches de son clavier lui donnent accès à toutes les musiques et il sait quelle partition jouer, inspiré par l'Océan en chef d'orchestre.
Ecrit pour le théâtre ou pour être lu à voix haute, ce texte, d'une beauté sidérante, se lit presque en apnée afin de ne pas rompre le charme. Pour aller au-delà de l'émerveillement que procure ce monologue poétique, la maison d'édition a eu l'intelligente idée de donner la parole, dans une postface, à sa traductrice, Françoise Brun car, parfois, ce sont ceux qui prennent à bras le corps un texte, ceux dont les efforts constants s'appliquent à en rendre la beauté originelle, qui en parlent le mieux.

dimanche 13 septembre 2015

L'homme qui voulait vivre sa vie de Douglas Kennedy



160 pages de descriptif d'une vie conjugale devenue morose pour cause de concession au confort bourgeois m'ont d'abord copieusement ennuyées. Sans réussir à adhérer aux ressorts psychologiques du personnage principal, Ben Bradford, avocat de Wall Street, j'ai eu le sentiment d'assister à des geignardises en demi-teintes. Je n'ai pas été vraiment convaincue par les problèmes de ce cravaté malgré lui, frustré d'avoir enfoui son rêve de devenir photographe et pas davantage par ceux de l'épouse, Beth, amère elle-aussi d'un autre renoncement, l'écriture. En effet, la frénésie de shopping à laquelle ils se livrent régulièrement ainsi que l'inventaire comparé des différents appareils photographiques de Ben, tous plus sophistiqués les uns que les autres, procèdent certainement d' une intention de l'auteur de glisser une forme de critique mais je trouve que le procédé narratif retenu (c'est Ben le narrateur et il parle à la première personne du singulier) empêche que cela soit vraiment efficace. Du coup, je suis restée dans une sorte d'agacement face à ce personnage. 
Le tableau de ces classes sociales aisées qui ont fait le choix d'habiter des villes de banlieue chic, pas trop loin de la mégapole est cependant assez bien brossé et je me suis amusée, à l'aide d'un globe virtuel bien connu, à retracer le parcours de leurs migrations pendulaires en train.  New Croydon n'existe pas dans le Connecticut mais imaginez-le quelque part à côté de Stamford. Côté géographie des Etats-Unis, on est servi avec ce livre et ce, à toutes les échelles car, suite à une situation inextricable (j'essaie de ne pas la dévoiler), Ben va devoir fuir et s'embarquer pour un road trip des plus palpitants, cap vers l'Ouest bien entendu. Pour moi, c'est le point fort de ce livre surtout que l'auteur a la bonne idée de lui faire poser ses valises dans le Montana, dans une bourgade de 30000 habitants, nommée Mountain Falls (sauf erreur de ma part, elle n'existe pas mais pourrait être inspirée par Great Falls). Douglas Kennedy aborde avec subtilité la quête d'identité de ses habitants , coincés entre les clichés rustiques que les touristes, en mal d'authenticité fantasmée, le "wild west", réclament et des influences bobos venus de Californie (nous sommes au milieu des années 90). La série de portraits que réalise Ben, en sillonnant ce vaste Etat, saura remarquablement rendre compte de cette authenticité dont le vernis caricatural s'effrite au profit d'une réalité plus complexe. Kennedy a du talent pour décrire les photos et expliquer les intentions de leur auteur : il donne à voir et à comprendre, même pour les non spécialistes.
En dehors du dilemme central entre raison et rêves, d'autres aspects sont à découvrir dans ce livre, notamment les questions relatives à la reconnaissance ou au succès qui semblent avoir des aimants d'autant plus puissants et se développer dès lors même qu'ils sont enclenchés, par des circonstances n'ayant parfois rien à voir avec le talent. Est-ce une question qui préoccupe cet auteur reconnu (que je découvre personnellement) dont la production semble prolifique ?


mardi 1 septembre 2015

Merlin de Michel Rio

Parce que la rentrée littéraire, d'accord mais pas toutes mes lectures quand même... Un livre de mars 1989.



Merci à O. pour le prêt de ce livre

Intimidée. Après réflexion, c'est le terme le plus honnête pour qualifier l'impression que j'ai ressentie au cours de cette lecture, ce qui ne me place pas dans une grande aisance pour rédiger ces quelques lignes. Il faut du talent pour s'emparer du cycle arthurien et revisiter un pareil monument de la littérature médiévale. C'est une Matière tellement travaillée, nourricière au long cours, présente à des degrés divers dans l'imaginaire de  chacun, même maladroitement, avec toute la fausseté liée à l'imprégnation des images télévisuelles (qui n'a pas sa  vision d'Arthur, de Guenièvre ou de Merlin façon petit écran ?) que je reconnais à Michel Rio bien de l'audace pour s'y être attelé. L'auteur connaît son affaire, postulat nécessaire pour s'approprier ce riche matériau et, c'est tout l'intérêt, en proposer une version personnelle (entreprise que l'auteur qualifie lui-même de "scandaleuse appropriation"). L'auteur sait écrire. Dès les premières lignes, la qualité d'écriture est limite intimidante. L'auteur nous propose une version philosophique fort riche dans laquelle Merlin n'est pas un magicien mais un être qui concentre tous les savoirs et qui met sa science au service de l'éducation des rois, notamment celle d'Arthur. L'objectif est d'instaurer un pouvoir nouveau où violence et guerre s'effacent face au courage, à la sagesse et à la justice, le symbole de ce pouvoir étant bien sûr la Table Ronde. Un tel projet exclut toute dérive causée par l'amour fou, ce que d'aucuns qualifieront d'utopique.
Le titre nous indique par son éponymie sur qui est centré le récit. Il fait cependant une place particulière à Arthur (on s'en doutait) ainsi qu'à sa demi-sœur et amour impossible, Morgane. D'ailleurs, Merlin fait partie d'une trilogie, les autres ouvrages apportant les points de vue de ces deux personnages.  Guenièvre apparaît mais en marge. J'ai aimé l'opposition des deux beautés, décrites dans des termes choisis, celle de Guenièvre, incontestable mais qui inspire l'ennui, celle de Morgane, à couper le souffle. Les aficionados de Lancelot seront peut-être déçus. Comme Guenièvre, son aimée, l'auteur ne lui accorde qu'une place minime, lui qui est pourtant si valorisé par Chrétien de Troyes. Pour apprécier ce livre, il faut accepter cette distanciation avec la tradition que l'auteur assume et sur laquelle il prévient (je l'aurais plutôt vue en préface qu'en postface d'ailleurs). "Scandaleuse appropriation", peut-être, talentueuse, sûrement.