dimanche 22 mars 2015

Un hiver à Paris de Jean-Philippe Blondel

C’est  assez remarquable ce que Jean-Philippe Blondel parvient à obtenir avec ses romans. La forme se fait discrète pour laisser l’histoire se dérouler et nous imprégner. Les phrases, globalement simples, ne recherchent pas d’effet particulier. La musicalité se déroule à l’échelle du paragraphe ou de la page. Alors qu’on ne s’y attend pas ou plus, quelques mots viennent illuminer tout ce qu’on a lu précédemment, un peu comme l’assaisonnement subtil d’un plat dont on aurait pu craindre l’ordinaire.  Une forme discrète à l'image de Victor, le personnage principal de ce roman. Élève brillant dans son lycée de province, il est devenu un étudiant en retrait dans sa classe préparatoire littéraire parisienne. Il est celui qu’on n’attend pas là et qui, de fait, est invisible pour les autres : pas assez doué, pas assez parisien, pas assez populaire. L’élitisme féroce (nous sommes au milieu des années 1980) qui se nourrit d’humiliations quotidiennes ne semble pas vraiment atteindre Victor. Il s’est mis à distance de tout, de ses repères d’enfance, de ses parents modestes dont il s’éloigne culturellement, à distance aussi des ambitions qui ne sont pas à sa portée (réussir l’entrée à Normale Sup). Contre toute attente, il passe en khâgne. Une amitié balbutiante se noue alors entre Victor et Mathieu, élève de première année, provincial et isolé comme lui. La suite va se révéler d’autant plus émouvante que l’on a bien mesuré, dès les premières pages du livre, la part  d’autobiographie qui l’inspire. Mathieu, plus sensible que Victor, ne parvient pas à flotter au-dessus de toute cette pression, cette violence ordinaire. Une énième humiliation du professeur de français et il se précipite dans le vide du haut de l’escalier. Le suicide de Mathieu va révéler Victor aux autres. En tant qu’ « ami de la victime », il prend de la consistance, entre dans les sphères de l’élève le plus brillant  de la khâgne et devient populaire. Duperie, superficialité auxquelles s’ajoute l’ambiguïté de sa rencontre avec le père de Mathieu dont il ne peut être le fils de substitution. Comment réussir à se plier encore aux exigences de cette formation élitiste alors qu’elle a broyé l’un des siens ? Comment faire comme si rien n’avait eu lieu ? Dérision, triste dérision. Victor est décidé à trouver sa place. Il comprend que sa vérité à lui est d’écrire des romans. J’ai beaucoup aimé ce passage. On sent que le personnage s’efface pour passer derrière l’auteur, un auteur naissant avec déjà de vraies intentions pour ses lecteurs. Bien sûr, aujourd’hui, Jean-Philippe Blondel est un auteur confirmé mais j’ai eu le sentiment qu’il nous confiait là ses désirs premiers, profonds, sa ligne de repères, son arrimage. Cette confidence m’a touchée, cette promesse m'a émue car elle opère sur la lectrice que je suis avec l'effet escompté. 

mercredi 18 mars 2015

La Traductrice de Efim Etkind

Merci à N. qui m'a révélé cette pépite.
Un bijou de pureté, un nectar, un essentiel.
26 pages pour prouver que :
L’être humain a des ressources infinies quand il s’accroche à ses rêves,
La poésie est parfois si belle qu’elle permet de supporter le sordide,
L’obscurantisme ne peut venir à bout de la littérature quand celle-ci devient une raison de vivre. 

C'est l'histoire (vraie) de Tatiana Gnéditch, enseignante et traductrice russe qui voue sa vie à la poésie élisabéthaine. 
Tatiana, intellectuelle et d'origine noble est forcément suspecte...Arrêtée pour un motif dérisoire, elle est condamnée à 10 ans de camp. La Seconde guerre mondiale est sur le point de s'achever. "L'homme d'acier" est encore aux manettes du pays à ce moment là...
Dans une cellule du NKVD, elle va traduire le Don Juan de Lord Byron, soit 17000 vers retranscrits sous la forme de 2000 huitains. Elle accomplit d'abord cette prouesse de mémoire, sans avoir ni l'édition de Byron, ni un papier, ni un crayon. 
Elle a le sens du beau. Son ancêtre, Nikolaï Gnéditch a autrefois offert à la Russie la plus belle traduction qui soit de l'Iliade.
Son interrogateur, un homme cultivé, finit par lui accorder le matériel minimum. Pendant deux ans, dans cette cellule sordide, elle va s'atteler à ce travail titanesque. La traduction achevée, elle est transférée dans un camp pour y purger le reste de sa peine. Huit ans pendant lesquels, elle garde en permanence avec elle un exemplaire de sa traduction. Elle l'enrichit de multiples corrections.
A sa sortie, la qualité de son travail est saluée par ses pairs. Bientôt, un metteur en scène, Nikolaï Akimov lui propose d'adapter le poème en pièce de théâtre. Le soir de la Première, au Théâtre de la Comédie de Leningrad,  les spectateurs, enchantés, réclament "l'auteur"... C'est le triomphe de Tatiana qui a su, par son travail acharné, son amour de la poésie et par sa traduction magnifiée, faire œuvre de création.

Efim Etkind, historien de la littérature, traducteur, dissident (il soutint Soljénitsyne et fut obligé d'émigrer en 1974) rend ici un bel hommage à Tatiana Gnéditch dont l'obstination à défendre la poésie, la culture représente une forme de résistance à l'oppression.

mardi 17 mars 2015

Le coeur du Pélican de Cécile Coulon



J’ai lu les premières pages en anaérobie et j’ai aussitôt craint de m’épuiser. J’ai accroché le livre et je me suis dit « allons-y ». Une écriture puissante, tout en envol qui correspondait bien à la colère de l’épouse bafouée, celle qui n’a jamais vraiment été aimée et qui le sait. J’ai donc d’emblée été intriguée par la puissance qui se dégageait de cette écriture mais me suis aussitôt demandée si je n’allais pas m’en lasser et surtout si j’allais y croire. Pour l’épouse, oui, pour le personnage principal, un peu moins. Le héros, Anthime (prénom gracieux, je dois le reconnaître) nourrit une colère sourde qu’il ne réussit à maîtriser qu’à travers un entrainement frénétique à la course à pied (le 800 mètres) avec pour seul objectif, la victoire. Là, il faudrait admettre que cet adolescent a bien des raisons d’avoir la rage. En plus d’être beau gosse, il a des facilités scolaires. Mais  ses parents, ni laxistes ni psycho-rigides (normaux, en somme) ont eu le mauvais goût de quitter la grande ville pour emménager dans une belle maison avec jardin à l’avenant, dans un lotissement d’une petite ville de province : traumatisant, non ? J’ai lu trop de romans de Véronique Ovaldé dont les héroïnes ont des enfances à faire frémir des bataillons d’assistantes sociales pour ne pas être sceptique. La relation avec sa sœur est ambiguë : frustration d’un amour interdit,  beaucoup plus crédible, par contre, pour alimenter la rage.
Bref, Anthime est en colère et seule l’idée de devenir le champion incontesté lui permettant de prendre sa revanche, (sur tant de facilités ?), de trouver enfin sa place dans la société (qu’il méprise pourtant) l’anime. Il devient le Pélican (bonne trouvaille mais nourrissant un peu trop de métaphores), le champion porteur de tous les espoirs. Côté parcours sportif, je n’y connais rien mais cela me semble peu probable qu’en même pas deux ans, un jeune athlète puisse se retrouver aux portes des sélections mondiales et faire figure de légende pour les 20 ans à venir. Sa petite amie (clone de sa sœur) est comme lui, infaillible. Alors, quand le Pélican se casse la patte, son orgueil blessé lui commande de rater sa vie. C’est la partie du livre qui m’a semblé la plus subtile, cette analyse du couple où l’un a choisi l’autre et l’étouffe peu à peu de son amour unilatéral. La maison devient l’écrin d’un bonheur factice, la vie quotidienne normée par des interdits qui se veulent protecteurs. J’en étais presque à avoir de l’empathie pour le personnage principal alors même que je le trouvais au départ infect avec son égo de la taille d’une pastèque. Bien sûr, on comprend qu’il va à nouveau ébrouer ses ailes et on l’encourage même. On ne devrait pas, même avec son prénom gracieux, c’est un type qui commet quelque chose d’irréparable, un pauvre type. J’en ai un peu voulu à l’auteur de ne pas me concéder le confort de pouvoir apprécier son personnage principal. Faut-il aimer un tant soit peu le « héros » pour que le livre soit un bon livre. ? Non, pas forcément.
Malgré ce qui m’a semblé être des invraisemblances, malgré ma déception vis-à-vis du personnage, j’ai lu ce livre presque dune traite, prise dans la course moi aussi. La force de l’écriture est somme toute captivante. Certaines métaphores sont très belles, d’autres m’ont semblé inutiles, mais le livre a produit en moi un petit agacement qui paradoxalement me donne envie de lire à nouveau cet auteur.

jeudi 12 mars 2015

Le dernier gardien d'Ellis Island de Gaëlle Josse




29 questions, le sésame pour l'Eldorado, sauf à avoir été marqué par les officiers de santé, du "X" fatidique qui fait de vous un refusé. De Annie Moore, jeune Irlandaise accompagnée de ses deux petits frères à Arne Peterssen, marchand norvégien,  ils seront 12 millions entre 1892 et 1954 à subir  ces contrôles administratifs et médicaux,  12 millions d'immigrants qui débarquent sur Ellis Island,   à l'embouchure de l'Hudson, face à New York et à l'Amérique, terre de tous les espoirs.  Poussés, le plus souvent, par la misère, harassés par des semaines de traversée dans des conditions éprouvantes, les arrivants serrent leurs maigres bagages et essaient de paraître présentables face à l'administration nombreuse du centre qui applique une procédure sélective. La générosité du pays d'accueil a ses limites : 2% des candidats, considérés comme indésirables seront refoulés.
Ellis Island est d'abord le creuset de toutes ces souffrances, de toutes ces vies déjà en exil qui doivent se reconstruire. Difficile d'y voir autre chose qu'un lieu sordide, où la maladie a d'ailleurs parfois sévi. C'est un peu de cette histoire que nous donne à appréhender Gaëlle Josse (auteur que je découvre) à travers "Le dernier gardien d'Ellis Island", court roman paru dans la collection Notabilia (que je découvre aussi). J'avoue que j'ai un peu piaffé d'impatience avant qu'elle en arrive au cœur du sujet, à travers les histoires personnelles de Nella et Paolo Casarini, de Francesco Lazzarini, de Giòrgy Kovàcs.
Non pas que celle du gardien, John Mitchell et de sa jeune épouse, Liz ne soit pas touchante mais ce n'est pas ça que j'avais envie de lire. Dés le début, j'attendais que l'auteur dénonce l'ignominie de ce passage par Ellis Island et de cette sélection d'influence eugéniste. Elle s'y emploie mais patiemment, avec une écriture appliquée et pudique, en montant en puissance progressivement.
C'est donc l'histoire poignante de Paolo, séparé de sa sœur Nella et refusé pour cause de retard mental, sœur qui se sacrifie dans l'espoir qu'un regard bienveillant sera posé sur le cas de son frère. Par ricochet, parce qu'ils étaient à bord du même navire, John Mitchell découvre le parcours de Francesco Lazzarini, suspect parce qu'anarchiste en Italie. Pour expurger sa faute, il lui accorde, contre toute attente, le fameux sésame. Pourtant, politiquement aussi, il fallait montrer patte blanche. Plus tard, il se remémore avec honte le zèle qu'il a mis à traquer les "rouges", en suivant les recommandations des ambassades, sans discernement. La "Porte d'or" ne voudra pas s'ouvrir pour Giòrgy Kovàcs, l'écrivain, pas assez communiste pour la Hongrie mais trop pour les Etats-Unis...
J'ai apprécié que l'auteur revienne sur les portraits d'immigrants réalisés par Auguste Sherman (un responsable administratif du centre) et en évoque, par la voix de John Mitchell, toute l'incongruité. En quoi ces pauvres gens, dans ce moment de fatigue et d'inquiétude, avaient-ils envie d'être photographiés ? Même si Sherman n'a jamais clairement indiqué d'intentions autres que artistiques, on sait bien comment ces portraits ont pu être exploités, en une sorte de zoo humain qui personnellement me donne la nausée.
Et l'auteur arrive là où elle voulait nous mener car c'est sur les mots "dignité", "mémoire" et "justice" qu'elle referme la porte d'Ellis Island.

Statue d'Annie Moore et ses frères à Cork, Irlande


dimanche 8 mars 2015

La grâce des brigands de Véronique Ovaldé



Question de latitude peut-être ? En fixant sa géographie plus précisément que dans ses autres romans où elle était quelque peu flottante et en la fixant plus au Nord,  ce livre d'Ovaldé m'a moins captivée que les autres. Ceci dit, je n'aurais pas cette impression si ce livre était le premier que je découvrais d'elle. J'aimerais pouvoir porter un regard neuf et frais sur une lecture et ne pas l'apprécier ou la déprécier à l'aune de ce qui m' a précédemment enchantée ou déplu du même auteur. Il n'est cependant pas toujours évident de repousser toute porosité entre lectures passées et présentes.
Néanmoins j'ai retrouvé avec bonheur l'écriture d'Ovaldé et le charme a encore opéré. J'aime ses phrases à la ponctuation discrète qui permettent aux mots de s'écouler et de diffuser leur poésie, mine de rien. J'aime les adjectifs qu'elle associe de manière décalée et qui me laissent une impression mélangée d'amusement, de surprise et parfois de nostalgie.
 J'ai retrouvé comme un endroit familier ses personnages un peu "barrés" qui oscillent entre résignation et résilience. Ici, il est question de Maria Cristina qui a réussi à s'extirper de l'étau maternel, à fuir son Canada natal pour "les palmiers cosmétiques" de la Californie. Mais comment s'adapter à la désinvolture et aux paillettes lorsqu'on a été élevé à Lapérouse par une mère dévote à l'excès et paranoïaque qui pense que toute fantaisie est péché ou vulgarité et que tout étranger est suspect ? Peut-être avec l'aide de Joanne, la colocataire qui a tout compris quant à elle du Los Angeles way of life ? Peut-être avec l'aide de Claramunt, écrivain à succès qui vit comme une diva dans son manoir normand ? Charmé par le côté sauvageon de la belle, il devient son amant puis son mentor car la toute jeune femme (elle n'a que 16 ans) aimerait avoir l'avis (et surtout l'aval) de cet homme qu'elle admire sur "La vilaine sœur",  roman cathartique qu'elle vient d'écrire.  Ce couple un peu improbable m'a rappelé celui que forment Lili et Yoïm dans "Les hommes en général me plaisent beaucoup". Même écart d'âge, même différence de corpulence, même côté "je te prends sous mon aile mais fais attention les plumes sont d'airain". Cependant la tension est moindre dans le couple Maria Cristina-Claramunt et là, non, je n'y ai pas cru quand elle règle ses comptes avec lui, c'est le cas de le dire..., lui reprochant dix ans plus tard de s'être fait de l'argent sur son dos alors qu'à aucun moment, elle ne paraît en manquer, vivant dans une opulence bien plus grande que ce qu'elle a connu dans son enfance.Là, j'ai un peu eu le sentiment que l'intrigue bottait en touche car le vrai défi aurait été d'affronter sa mère (bon, ok, ça paraît mission impossible) mais sa sœur surtout (irresponsable au possible vu ce qu'elle a osé confié à leur  mère commune et connaissant très bien son côté peu amène). Les bases pour créer un ressort narratif intéressant étaient donc posées et j'aurais aimé que Véronique Ovaldé explore davantage cette piste plutôt que de nous proposer une fuite, même romancée façon "on the road again" (j'ai mis "again" parce que quand même je n'ose pas comparer à Kerouak). Un livre que j'ai donc davantage aimé pour son écriture que pour son histoire mais comme je venais d'en lire un  mal écrit, mon besoin a été comblé. Ha, la porosité...


vendredi 6 mars 2015

La vérité sur l'affaire Harry Quebert de Joël Dicker

A lire les chroniques de ce blog, on pourrait croire que j'accorde mon enthousiasme le plus total, mon feu vert permanent, mon admiration sans borne à toutes mes lectures. Non, je ne suis pas une lectrice Bisounours et tout ce que je lis ne me plait pas, ne m'agrée pas toujours pleinement. J'ai simplement décidé de ne publier que les chroniques (et je préfère employer ce mot à celui de critique) des livres que je conseille. 
Je vais faire une exception avec ce livre parce que c'est un best-seller et parce qu'il a reçu des prix. Chacun se fera ensuite sa propre opinion. 

La couverture du livre m’adressait deux promesses… Avec son titre comportant les mots « vérité » et  « affaire »,  je m’attendais à une intrigue policière, assez tarabiscotée qui plus est. Avec la mention « Grand Prix du roman de l’Académie française »,  j’espérais  (j’étais en droit d’attendre me semble-t-il…oui, je suis une lectrice qui jusqu'à présent accordait sa confiance aux prix littéraires) une écriture de qualité. J’ai eu l’une sans avoir l’autre.
Côté intrigue, le contrat est rempli, presque trop d’ailleurs…, un peu de modération dans les rebondissements aurait été appréciable selon moi. Mais passons, c’est le levier principal d’un livre policier : chaque lecteur a la faiblesse de vouloir savoir ce qui s’est passé, ne serait-ce que pour jauger le bien-fondé de ses propres hypothèses. Et plus celles-ci sont bousculées, plus le lecteur s’obstine car le joueur, le détective sommeille en lui.
Il y a donc fort à parier que ce livre, dont le style m'a paru mauvais, n’a été que peu abandonné par ses lecteurs. Véritable exploit car le nombre de pages est conséquent.
La construction complexe, avec de multiples retours en arrière, ne figure pas parmi les plus subtiles qu'il m'ait été donné de lire mais là encore, j'accorde mon indulgence. La tentative est louable.
L’intrigue, nourrie par des rebondissements multiples et une construction savante (ou essayant de l'être) peut-elle faire oublier le style ? Pour ma part, c’est non. Pourtant, je l’ai lu jusqu’au bout, n’échappant pas à l’envie d’avoir raison sur le coupable…
Fallait-il que les dialogues amoureux soient aussi mièvres pour que l’on croie ou que l’on cautionne l’amour de ces deux personnages à l’écart d’âge dérangeant ? Fallait-il que les conversations téléphoniques avec la mère du héros soient aussi caricaturales pour essayer de nous faire sourire ? Fallait-il que l’éditeur soit un être aussi grossier et sordide pour que sa noirceur fasse ressortir la pureté supposée du personnage principal qui blanchit de sa plume l'honneur bafoué de son ami ? Une pureté  négociée à un million de dollars, ça laisse perplexe...
Mais le plus agaçant, selon moi, ce sont les grandes vérités qui émaillent le livre (31 fois, rien que ça…)  sur ce qui fait d'un livre, un "bon livre" et  d'un écrivain, un "grand écrivain". Vu le niveau de style des pages qui encadrent ces passages, on peine à être convaincu de la légitimité de l'auteur (au passage, ce mot existe et son emploi aurait évité la répétition soûlante  du mot "écrivain") en tant que conseilleur dans ce domaine. Oui, je sais bien, ce n'est pas un essai ni un ouvrage scientifique sur l'art d'écrire... mais pourquoi alourdir le livre avec ces grosses ficelles, on l'avait bien compris que Harry était le mentor de Marcus !
Là, mon indulgence n'en pouvait plus car j'ai trouvé la démarche d’un ennui profond. Franchement, qu’apprend-on ? Je cite le conseil numéro 16 : « Harry, combien de temps faut-il pour écrire un livre ? - ça dépend. – ça dépend de quoi ? – de tout ». Muni d’un renseignement aussi essentiel, on est paré !
L'ennui a cédé la place à l'agacement quand Harry, le mentor s'est mis en tête de renseigner son poulain sur les attentes supposées des lecteurs. Il lui apprend que le premier chapitre est essentiel car sinon, le lecteur n'ira pas au-delà. Ah bon ? Je ne savais pas que le premier chapitre constituait l'artefact absolu, le grand canyon rejetant sur deux rives opposées, les "j'abandonne" et les "je continue".
Autre conseil, il faut servir un dernier rebondissement, histoire de « garder jusqu'au bout son lecteur en haleine » (heu, il a passé le cap fatidique du premier chapitre, tout va bien !). Non, parfois non, quantité ne fait pas qualité, le mieux est l'ennemi du bien, point trop n'en faut, à trop vouloir..., je peux ressortir tous les adages et phrases toutes faites en la matière mais franchement ce manque de finesse va finir par lasser, comme quoi, oui, le style compte quand même un peu.

mercredi 4 mars 2015

Le seuil du jardin de André Hardellet



Il fait partie de ces auteurs oubliés (les "ensablés" de la littérature comme les surnomme Hervé Bel dans le blog qu'il leur consacre)  et sans le conseil d'un libraire, le désensablage est quasi impossible. Mais pour cela, il faut avoir de bons libraires : ouf, c'est mon cas !
La Collection L'Imaginaire chez Gallimard œuvre aussi beaucoup en matière de désensablage. D'aucuns diront que c'est une grande maison et que c'est son rôle. Mais je persiste à trouver la démarche courageuse à l'heure du consumérisme effréné (non, je n'ai pas d'actions chez eux).
Parler de l'auteur et de son éditeur m'évite de parler du livre lui-même qui n'est vraiment pas des plus simples à présenter. Il est question d'une pension de famille tenue par maman Temporel  avec présentation de ses occupants. Parmi eux, Stève Masson (Hardellet l'utilisera par la suite comme pseudonyme pour un autre livre), peintre dont le talent commence enfin à être reconnu mais dont le caractère est assombri par une quête difficile : "Je cherche toujours ce qu'il y a derrière mes tableaux ou derrière l'intention [...] L'autre côté des choses, le but secret." Il y parvient avec la toile nommée "Le seuil du jardin" (au moins, j'aurai expliqué le titre), expression d'un rêve récurrent le plongeant à chaque fois dans une béatitude addictive.
Un autre personnage fait alors son entrée dans l'histoire et la pension, Monsieur Swaine, professeur de philosophie en retraite. Terriblement secret (il fait poser des serrures sur toutes ses portes), celui-ci suscite aussitôt la curiosité méfiante des autres pensionnaires sauf celle de Masson, trop tourné vers lui-même et son art. La nuit, une étrange machine fait entendre son ronronnement. On apprend, après quelques péripéties, qu'il s'agit d'une sorte de lanterne magique permettant de fabriquer les rêves et de renouer avec les souvenirs. Masson et Swaine se rejoignent bien évidemment sur cet intérêt commun.
Cependant une telle machine apparaît pour certains comme une menace pour la société...
Une intrigue policière, de très beaux passages oniriques, une réflexion d'ordre philosophique, oui, ce livre mérite de sortir de l'oubli, comme son auteur.